Cet axe est piloté par Laura de Mello e Souza.

L’histoire du Brésil étudiée en Licence 3 débute avec l’arrivée des Portugais en Amérique du Sud, en l’an 1500, et s’achève en 1930, à la fin de la période connue comme la Première République. Au-delà, donc, des repères chronologiques de l’Époque moderne : s’agissant d’un pays aussi récent que le Brésil, devenu indépendant en 1822 et ayant aboli l’esclavage en 1888, le déplacement des repères canoniques des périodes historiques se justifie, en un certain sens, si l’on veut mieux comprendre les phénomènes de longue durée. Et dans l’histoire du Brésil, le phénomène de longue durée par excellence fut l’esclavage, dont découlent d’autres faits structurants au long des siècles : le métissage, la violence, l’inégalité sociale.

Colonie portugaise pendant plus de trois siècles, le Brésil est une des premières régions des Amériques peuplée par les Européens, plus d’un siècle avant le peuplement des Treize Colonies du Nord, même s’il est devenu indépendant près de cinquante ans après les États-Unis d’Amérique du Nord. Fondées vers le milieu du XVIe siècle, les premières villes de la côte atlantique, comme Salvador de Bahia, Olinda, dans l’État de Pernambouc ou Rio de Janeiro, dans la baie de Guanabara, sont contemporaines de villes hispano-américaines aussi anciennes que Lima, au Pérou, ou Santa Fé de Bogotá, dans la Cordillère des Andes.

Le Brésil se distingue encore des autres pays américains par les caractéristiques suivantes : c’est le pays où le métissage a été le plus intense, permanent et profond, touchant toutes les couches de la population et tous les groupes sociaux, y compris les élites – ce qui n’a pas été le cas, par exemple, aux États-Unis, au Nord, ni au Pérou, au Sud. C’est aussi le pays qui a le plus tardé à abolir le travail esclave et à adopter le travail libre. C’est la seule colonie à avoir abrité pendant quatorze ans son roi, obligé de fuir la capitale de la métropole devant l’invasion française de 1807. C’est le seul pays américain à avoir maintenu, après son indépendance, la monarchie comme régime politique, entre 1822 et 1889. Enfin, doté d’une culture riche et variée, c’est le seul pays d’Amérique du Sud, du Nord et des Antilles à parler le portugais.

Un pays métissé, donc, mais dont la langue dominante et officielle est une langue européenne. Le Brésil avant de devenir le Brésil fut le théâtre des conflits entre les monarchies européennes de l’Époque moderne. Dès 1501, les Français, Espagnols, Italiens de toutes provenances

parcoururent la côte atlantique et la région amazonienne. Lors de la Guerre de 30 ans (), les Hollandais occupèrent le Nordeste du Brésil pendant plus de 3 décennies, et lors de la Guerre de Succession en Espagne (), les Français envahirent à deux reprises Rio de Janeiro. La traite des Noirs a également contribué à lier le Brésil à l’Europe : pionniers du commerce d’esclaves africains, les Portugais inondèrent le Brésil avec cette main-d’oeuvre, et au XVIIe siècle, les élites luso brésiliennes prirent part au trafic avec la côte atlantique de l’Afrique, allant jusqu’à occuper l’Angola (1648). Espagnols, Hollandais, Anglais, Français, Danois emboîtèrent le pas aux Portugais dans l’activité négrière, comme ils l’avaient fait dans l’établissement des grandes plantations de canne à sucre. Après avoir longtemps dominé le marché de l’approvisionnement de l’Amérique espagnole en esclaves noirs, les Portugais perdirent en 1715 leur position au profit des Anglais. Au XIXe siècle, ces derniers, devenus maîtres de l’empire informel du libre-échange et pionniers de l’industrialisation, s’en prendront aux activités esclavagistes des portugais, puis des brésiliens.

Doté de connexions solides avec l’Europe, qui se sont poursuivies au long du XIXe siècle avec l’intensification des courants migratoires – d’Italiens, Espagnols, Allemands, Polonais – le Brésil a toujours été étroitement lié à l’Afrique, notamment aux régions atlantiques ou proches de l’Atlantique, d’où provenaient les esclaves. Au cours du XVIIe siècle, un puissant système sud atlantique s’est constitué, et l’Afrique n’a plus cessé d’être présente dans la culture et dans la vie quotidienne du Brésil : le vocabulaire, la nourriture, les techniques métallurgiques, la musique, la religiosité sont devenues inextricablement liés aux apports culturels des Noirs venus de différents points de l’Afrique.

L’occupation et la colonisation de régions aussi vastes se sont faites par la violence et l’expropriation, en sacrifiant de vastes contingents de la population indigène et en supprimant la petite propriété terrienne. La concentration de la propriété est devenue la norme dans la formation du territoire brésilien. La monarchie impériale brésilienne, entre 1822 et 1889, a consacré la prépondérance des grands propriétaires ruraux et des grands commerçants, dont nombre avaient débuté dans la traite négrière. La concentration de la richesse et l’inégalité sociale ont perduré par- delà les époques et les régimes politiques.

L’unité politique, autre particularité du Brésil, a permis de former un pays d’une grande complexité et hétérogénéité : géographique, culturelle, ethnique, voire linguistique, puisqu’il y a des régions où l’on parle encore les langues indigènes ou les langues générales comme le nhangatu. Peut-être faudrait-il proposer l’étude des Brésils, au pluriel, comme le désignaient les Anglais au XIXe siècle. Si l’empire hispano-américain en Amérique s’est divisé en dizaines de pays, l’ancienne possession de l’empire portugais a, elle maintenu son unité. Sa capacité à harmoniser les différences ethniques et culturelles, régionales et linguistiques, a fait du Brésil une deuxième patrie pour les immigrants de toutes origines – y compris de nombreux asiatiques –, pour les aventuriers, exilés et

victimes d’hécatombes, au point que certains, comme Stefan Zweig, l’ont qualifié de «terre d’avenir».

Paradoxal, souvent injuste et violent, le Brésil est sans conteste un pays qui incite à la réflexion. A fortiori dans un monde de plus en plus multiethnique et multiculturel.


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